RU 28/2012 - LE CARDINAL MINDSZENTY
LE CARDINAL MINDSZENTY (ru, 14 juillet 2012) – Etude salubre pour
cet été. « Ni compromis, ni concession ! » par le
secrétaire général de l’Unec qui fut présent ce mémorable 4 mai 1991 à
Esztergom.
« Esztergom, en Hongrie, le 4 mai 1991. Près de 100.000 fidèles assistent
ce matin au retour victorieux de la dépouille du cardinal Jozsef Mindszenty,
archevêque d’Esztergom et primat de la Hongrie, de Mariazell en Autriche,
où il reposait « provisoirement » depuis sa mort en exil en 1975. Six cardinaux
– dont le légat pontifical cardinal Opilio Rossi – ainsi que 38 évêques et de
nombreux dignitaires politiques – dont le Premier ministre de la République
hongroise M. Jozseph Antal et le fils du dernier empereur autrichien S.A.I.
Otto von Habsburg (décédé depuis) – ont tenu à marquer cet événement de leur
présence. Une forte pluie a arrosé la région toute la nuit, pour ne s’arrêter
qu’à 9h30 ce matin, une heure avant le début de la cérémonie. La liturgie est
célébrée en latin « pour tenir compte des nombreux visiteurs étrangers ». Ce
n’est toutefois pas la sainte messe suivant le rite saint Pie V, mais une
célébration hongroise retraduite en latin, avec des miettes du Requiem et de la messe dominicale
mêlées selon le goût des organisateurs. Les fidèles assistent à cette cérémonie
dans un recueillement impressionnant, la plupart restant trois heures debout
sans bouger sur la vaste
pelouse mouillée entourant la basilique, lieu historique de la première
capitale du royaume de la Hongrie, fondée par saint Étienne. On dirait que
l’esprit d’endurance du cardinal s’est soudainement transféré sur
l’assistance tout entière. En fait, ce dernier ne symbolise-t-il pas pour les
Hongrois le défi ultime au communisme, étant resté enfermé pendant quinze ans,
de 1956 à 1971 – après avoir passé auparavant de longues années dans les geôles
nazies et ensuite communistes – à l’ambassade américaine à Budapest, où il
s’était réfugié le 4 novembre 1956, lorsque les tanks soviétiques envahirent la capitale ? Il est vrai qu’il fut
inaccessible aux propositions de négociation de libération conditionnelle tant
qu’elles impliqueraient un compromis quelconque avec le communisme «
intrinsèquement pervers », au point que le cardinal devenait encombrant,
non seulement pour ses hôtes américains qui voyaient en lui un obstacle à la
politique de dégel de la Guerre froide entre Américains et Soviétiques, mais
également pour l’Église officielle, qui avait effectué pendant
le Concile – au moment où le cardinal préférait la résistance physique au
milieu des siens contre le communisme – une volte-face complète dans sa
politique envers les athées. Au lieu du refus total et de la condamnation
sans équivoque, l’Église conciliaire optait maintenant pour l’ouverture, le
dialogue, la coexistence, l’écoute…
Seule
la maladie triompha finalement de son internement volontaire à Budapest au
milieu de son peuple opprimé : il fut évacué en Autriche pour y être opéré. Il
mourut en 1975, en exil, ne voulant rentrer dans son pays que « lorsque le
dernier soldat soviétique aurait quitté son pays ». C’est aujourd’hui chose
presque faite : le dernier soldat quittera le sol hongrois fin juin 1991, deux
mois après cette cérémonie de retour du cardinal.
Mais
aujourd’hui le triomphalisme est absent : on ne voit ni bannières ni drapeaux.
Est-ce pour ne pas réveiller les velléités slaves en Roumanie et
Tchécoslovaquie face à une soi-disant recrudescence du nationalisme hongrois,
comme me l’expliqua mon chauffeur de taxi ? Il est vrai pourtant qu’un seul
grand drapeau est exposé de façon bien visible sur l’énorme tribune montée
devant la basilique pendant toute la cérémonie de ce samedi
: le drapeau national hongrois rouge blanc vert, avec un immense trou au
milieu, celui-là même où «l’Étoile rouge de Moscou athée» (expression du
cardinal Mindszenty) avait trôné pendant 43 ans. Il faut se rappeler
que ce « trou » avait été découpé pour la première fois par les révoltés
anti-communistes de Budapest en 1956, avant de devenir le signe de révolte
anti-communiste dans tous les pays de l’Est.
Ce
retour en Hongrie est une éclatante victoire post mortem du grand cardinal sur le communisme, comparable,
dans sa logique, à la victoire de sainte Jeanne d’Arc après sa mort violente,
imposée par une Église devenue esclave. Le cardinal mort réussira-t-il à
maintenir désormais cet esprit catholique de non-compromis envers le communisme
athée ?
Les
signes du temps sont équivoques. Lors du départ de Mariazell, un évêque autrichien,
Mgr Weber de Styre, dit que l’Église aurait besoin « aussi » d’hommes comme
Mindszenty. Cela sonne comme une gêne, une excuse.
Cette même gêne qui voulait faire oublier le cardinal d’après le Concile : un
homme qui ne comprenait pas « les signes du temps », qui était resté un «
anti-communiste primitif et viscéral », qui n’admettait pas la
coexistence… Son attitude intransigeante signifiait clairement : « Ils n‘ont
qu’à partir ; il n’y a rien à négocier. » L’histoire lui a donné raison. Le
Vatican a peut-être beau se vanter de ses succès à l’Est : en dernière analyse,
ce ne sont pas les négociateurs de Rome qui ont obtenu la chute du communisme
dans les pays de l’Est, mais l’obstination pure et dure du peuple fidèle,
continuant ainsi, simplement, le catholicisme profond d’un cardinal Mindszenty
: « Ils n’ont qu’à partir ; il n’y a rien à négocier. »
Son
successeur, le primat actuel cardinal Paskai, assistant pourtant à la cérémonie
de retour du cardinal, n’avait-il pas déclaré, il y a peu d’années encore, que
le cardinal Mindszenty « avait compris le communisme de manière
totalement fausse » et qu’il avait conduit l’Église – « par son attitude
inflexible » – vers des difficultés énormes avec le régime hongrois ? Le pape
Paul VI n’avait-il pas privé ce cardinal un an avant sa mort de
tous ses titres, d’archevêque et de primat ? Les évêques hongrois
n’interdirent-ils pas, pendant deux ans, avant cette cérémonie de retour, les Requiem pour le salut de son âme ?
Quand ce samedi matin, un évêque hongrois
demande à l’assistance, au moment de l’Agnus
Dei, de s’embrasser, « cordialement et sans rancune », il me semble que
cette assistance reste immuable : ce peuple immense, debout devant son héros et
vainqueur conspué par tous, voire par l’Église elle-même, est étrangement
silencieux envers ses bergers actuels. Les blessures sont encore trop
profondes, les compromissions encore trop vivantes…
Oui, il
est temps que le cardinal soit rentré dans son pays – et dans notre mémoire
trop courte. Sa devise aurait pu être : « Ni compromis ni concession, par la
prière et le courage, tout pour
Notre-Seigneur Jésus-Christ et son Église ! Quel enseignement pour nous autres aujourd’hui, qui
faisons face à tant de systèmes « intrinsèquement pervers » !
- SA
VIE
Avant
d’analyser cet enseignement plus en profondeur, voici un bref rappel de la vie
de ce grand cardinal : Il est
né le 29 mars 1892 à Mindszent en Hongrie, dans une famille de paysans. Devenu
prêtre, il est interné en 1944 à Sopronkohida par les nazis, pour ses
protestations contre la déportation des juifs. En 1945, il est nommé
archevêque d’Esztergom. Lors de la proclamation de la République, il s’y oppose
en se disant monarchiste
légitimiste. En 1948, après des semaines de tortures, il est condamné par un «
tribunal du peuple » communiste, à perpétuité, libéré le 10 octobre 1956 par la
révolution anti-communiste à Budapest, révolution écrasée le 4 novembre par les
tanks soviétiques. Il reste
enfermé à l’ambassade des USA à Budapest, où il s’est réfugié après quelques
jours seulement de liberté. Il y reste du 4 novembre 1956 jusqu’en 1971. Après
quelques voyages triomphaux à travers le monde – et une condamnation plus ou
moins cachée du pape Paul VI pour ses discours
anti-communistes – il meurt en exil à Vienne le 6 mai 1975, à 83 ans. On l’enterre
à Mariazell en Autriche, pratiquement ignoré par Rome. Après vingt ans d’exil
sa dépouille est retournée en Hongrie le 3 mai 1991.
L’UNEC était présente ce jour-là à Esztergom, avec sa bannière, pour rendre
hommage à cet homme.
-
SANS COMPROMIS
Les
compromis commencent par nous-mêmes. Regardons s’il pratiquait des compromis
dans sa vie personnelle.
Sa vie
était monastique. En hiver il aimait vivre sans chauffage. En carême, il se
nourrissait deux jours par semaine de pain et d’eau. Il se contentait de 4 à 5
heures de sommeil. A Vienne, en exil, le cardinal dormait sur un matelas, par
terre. Dans ses grands discours de 1971 à 1975 dans le monde entier, il ne
parlait jamais de lui-même, mais annonçait uniquement l’Évangile de Notre
Seigneur. « Celui qui cherche les joies terrestres, perdra également celles du
ciel », était une de ses paroles. Il disait souvent la prière de saint Jean de
la Croix : «Souffrir et être méprisé pour Vous, Seigneur !» Il était capable de
se rappeler, dans les moments les plus durs de sa vie la grande sainte de la
Hongrie, sainte Élisabeth, qui chanta un Te
Deum quand elle se trouva chassée de son château, cachée dans une
étable. Comme Jésus devant ses juges, il savait rester muet devant le secrétaire d’État,
pendant son ignoble procès à Budapest. C’est là d’ailleurs qu’il s’aperçut
qu’on s’appauvrit quand on ne peut faire du bien à d’autres. Quelle leçon
concernant la vraie richesse du chrétien !
Il
vénérait profondément sa mère qui lui resta fidèle pendant toutes ses années de
prison. Un de ses plus beaux livres s’intitule tout simplement « Ma Mère », véritable hymne à une
mère chrétienne. Quand elle mourut, il eut
cette merveilleuse parole : « Le calice précieux s’est cassé. » Mais sa
gratitude envers Dieu – et elle – était plus grande que sa douleur.
Il se
faisait une règle de ne jamais rien demander à ses geôliers : « Chaque
compromis donne aux persécuteurs de l’Église de la nourriture fraîche. » Ou
encore : « Un évêque hongrois n’a rien à demander à un officier
soviétique ! » Tout en étant exigeant envers lui-même, il montrait une grande
mansuétude pour les siens. Il ne s’offusquait pas ce ceux qui signaient contre
lui pour garder leur emploi. En revanche, envers ses prêtres il était exigeant,
voire pointilleux : « Il faut donner l’exemple ! » Pour lui, être évêque,
c’était d’abord être un bon pasteur.
Enfin, quand, sur ordre du pape, il s’exila en Autriche, il dit : « Je pars
expier en exil pour l’Église et pour mon peuple. » C’était, selon lui, la croix
la plus lourde de sa vie : quitter son pays. Un sacrifice d’humilité et
d’obéissance qu’il a offert à Dieu en suivant son divin maître.
-
SANS CONCESSIONS
Sous ce
titre, je voudrais surtout parler de son opposition à toute concession aux
ennemis de l’Église. Je pense que c’est une leçon salutaire pour nous autres,
embourbés comme nous le sommes dans les compromissions de toutes sortes avec
nos pires ennemis, sous le masque d’une fausse charité. Combien de fois a-t-il
fustigé l’Église hongroise, « la servante » de l’État communiste, quand elle
composait avec le gouvernement communiste dans l’affaire des « prêtres de la
paix », pour sauver quelques sièges épiscopaux ? En fait, dans ses Mémoires il décrit comment les
communistes ne craignaient pas d’envoyer leurs « cellules » pour aider à la
reconstruction des églises détruites pendant la guerre, rien que pour mieux
infiltrer les milieux catholiques. Il décrit des cas où les communistes
cachaient des fusils dans l’école, pour les découvrir le lendemain en accusant
l’Église de préparer un coup d’État. Pendant trois ans, il réussit, avec les
parents, à faire reporter l’étatisation des nombreuses écoles catholiques. Une
fois l’école laïcisée, dit-il, on procède toujours de la même manière rusée :
d’abord on rend le catéchisme facultatif, ensuite on interdit le catéchisme
dans l’école, enfin on enseigne l’athéisme et la haine de l’Église. Preuve
qu’il est impossible de coopérer sous quelque forme que ce soit avec le
communisme « intrinsèquement pervers ». Sa résistance était totale et
inconditionnelle. Il paya sa conviction durant sa vie entière : sur trente ans
d’épiscopat il en a passé vingt-six enfermé ou en exil.
Il faut
voir ce combat plus en détail, tant il revêt de l’importance pour nous
aujourd’hui : les communistes fondaient, au début de la nouvelle « république
hongroise » des « groupes de catholiques intellectuels », au motif
qu’ il faut coopérer pour
sauver au moins ce qui peut être sauvé. Ces gens furent amenés très vite par
les communistes à considérer Mindszenty comme « ennemi de l’avenir de l’Église
hongroise ». Un peu plus tard il fut traité – preuves en main, n’est-ce pas ? –
comme l’espion du Vatican, trafiquant de devises, subversif. « Nous voulons du
pain et une corde pour Mindszenty » faisaient scander les communistes à leurs
militants pendant les défilés à Budapest, juste avant l’incarcération du
cardinal.
En 1948
et 1949 enfin eut lieu l’ignoble procès, un procès du peuple de sinistre
mémoire. En dix-neuf jours, ils sont arrivés à bout des nerfs du cardinal.
D’une résistance totale il est passé, sous la torture et le lavage de cerveau,
aux « aveux » extorqués. Il fut systématiquement « entendu » la nuit, pour
empêcher qu’il ne dorme. Des drogues furent mélangées à ses repas frugaux, qu’il
réussit, pendant un certain temps, à séparer du reste.
Ils lui
donnèrent une fois du vin, sachant qu’il en avait besoin pour dire secrètement
la messe. Mais jamais il ne s’est abaissé à leur en demander à nouveau. Les
deux dernières semaines de son incarcération avant le jugement, il fut, chaque
nuit, totalement déshabillé, battu au cours de cyniques comédies. « Toute ma
vie j’ai attendu ce jour pour taper sur les fesses d’un cardinal » s’exclama un
de ses geôlierrs. Il restait sans sommeil, sans repos pour prier. On lui avait
enlevé son missel et son bréviaire. Il avait terriblement faim. Il devint
apathique, anxieux, un jouet pour ses persécuteurs, un drogué. De 82 Kg il
passa en quelques semaines à 42
Kg. Rarement un homme a subi un tel condensé de haine dans la façon dont il fut
traité à cause de sa foi.
Le 20
février 1949 Pie XII dit, lors d’une allocution sur la place Saint-Pierre de
Rome, après avoir parlé de Mindszenty : On sait trop bien ce que l’État anti-religieux exige et
attend de l’Église en contrepartie de sa «tolérance» ou plutôt de sa
reconnaissance douteuse : une Église
qui se tait quand elle devrait annoncer ; une Église qui diminue la loi
divine, en essayant de l’adapter au vouloir humain, au lieu de l’annoncer à
haute voix et
de la défendre ; une Église qui se sépare du rocher sur lequel le Christ l’a
fondée, pour construire sans souci sur le sable mouvant des opinions du jour ou
pour se laisser entraîner par un courant qui passe ; une Église qui ne résiste
pas à la violation des consciences et qui ne protège pas les droits bien-fondés
et la vraie
liberté du peuple ; une Église qui s’enferme – avec une mentalité servile
déshonorante – entre les quatre murs de ses églises et qui méprise la mission
que le Christ lui a confiée…
Voilà
une justification totale, s’il y en a besoin, du comportement de ce grand
martyr Mindszenty. On pourrait parler de tant de faits prouvant son opposition
entière, vécue de jour en jour. Ainsi, un matin ses geôliers lui proposèrent de
dire la messe dans une meilleure salle que sa cellule. Il refusa cette
autorisation, en continuant à dire la messe dans sa cellule, sans avoir jamais
demandé une autorisation.
Son
refus du mal était entier. La malhonnêteté de ses persécuteurs se révéla
parfaite quand les communistes ont dissous, après son incarcération, tous les
ordres religieux en Hongrie, en dépit de leur promesse de les maintenir si
Mindszenty était sous les verrous. Face à des ennemis de cette sorte, il refusa
même d’aller célébrer une messe solennelle à Esztergom, ville de son siège
archiépiscopal, de peur de donner à ses fidèles une fausse image de coopération
bienveillante. Il ne voulait aucune négociation avec les autorités. Il voulait
une réhabilitation totale sans aucune
condition. « Ma décision est, dit-il, définitive : dans l’alternative
“la mort en prison – ou la liberté contre un mauvais compromis“, je choisirai
plutôt la mort. » Sa détermination était telle que ses geôliers durent un jour
lui déchirer la soutane pour le déplacer. “Je ne céderai pas, dit-il, à la
violence“. Quel homme !
Il
méprisait profondément les pouvoirs politiques de l’Ouest. Leurs dialogues avec
les communistes étaient pour lui une trahison et un élément de retardement pour
leur départ. Combien l’histoire lui a donné raison
! Il n’obéissait en rien à ses persécuteurs. Déjà, sous les nazis, il avait
ordonné en détention neuf jeunes prêtres, pendant la nuit du 7 au 8 décembre
1944. De même il a aidé des juifs à fuir la persécution des nazis, en
prenant des risques qui entraînèrent effectivement son incarcération. Quand,
plus tard, les Russes eurent «libéré» la Hongrie, on l’invita à rendre visite
au Commandant suprême russe, ce qui lui ferait sûrement plaisir,
pensait-on, et ne pourrait qu’améliorer les relations entre l’Église et le
nouvel occupant. Mindszenty refusa de s’y rendre en disant : « Je n’ai pas la
presse ni la radio pour démentir par la suite les faux rapports concernant
ma visite. Ils ne feront pas de moi un deuxième patriarche Sergej. » Quand, peu
après, Pie XII le nomma « Prince primat de Hongrie », sa première allocution
fut une déclaration de guerre : « L’Église de Hongrie a résisté depuis 1 000
ans à tous ses assaillants. Elle ne se cache pas quand l‘orage approche. Elle
ne fait confiance à aucune protection terrestre : elle se confie totalement à
la Providence divine… Je veux être un bon
pasteur qui, s’il le faut, donnera sa vie pour ses brebis. » Ces paroles
avaient, dès le départ, fixé les idées à tout le monde. En fait, les
séminaristes de l’époque le suivirent très courageusement pendant l’époque de
la fermeture progressive des séminaires, puisque là où il y a un bon pasteur,
il y a de bonnes brebis. Sur soixante séminaristes, un seulement se plia aux
exigences des communistes. « Celui qui fait des compromis avec les communistes,
sera perdu », disait le cardinal à qui voulait l’entendre. Peu d’évêques
avaient compris cet enjeu, en Hongrie aussi bien qu’à l‘étranger. En 1958,
l’Archevêque de Grösz se faisait photographier avec Khrouchtchev, ce que
Mindszenty commenta ainsi : « Les représentants même de l’Église deviennent les
fossoyeurs de l’Église. »
Pendant
ce temps, la campagne de haine contre l’Église et les fidèles continuait. Face
aux délations, Mindszenty prêcha le sens du martyre : témoigner de la vérité,
de Dieu. Il devint ainsi le symbole du martyr chrétien moderne. En fait la
Hongrie tout entière s’accrochait à cette grande figure, pour sauver sa foi. Ce
n’est pas un
hasard si, justement, la Hongrie osa, en 1956, une révolte contre le
communisme, révolte qui ne devait porter ses fruits que trente ans plus tard,
avec l’écroulement que l’on sait. Mindszenty a gagné. L’Église hongroise a survécu,
debout sur les décombres du communisme inhumain et pervers, en attendant la
prochaine attaque. Elle resta debout comme Mindszenty, ce qui montre la force
du martyre chrétien, dès qu’un seul homme se lève pour témoigner. « Vous êtes
mes témoins jusqu’à la fin des temps. »
En fait
le régime tremblait devant le cardinal. Au début, il n’était pas seul. Mais,
quand Pie XII mourut, Mindszenty s’exclama prophétiquement : « Pauvre Hongrie !
Maintenant Pie XII est parti aussi »… Il ne fallut pas
attendre longtemps. Jean XXIII opta pour un renversement total de la politique
vaticane. On devait coopérer, dialoguer, écouter, faire comme les Américains :
coexister. Il reçut le gendre de Khrouchtchev au Vatican, pendant que
Mindszenty était persécuté. Pourtant, rien ne changeait pour les chrétiens en
Hongrie/ Me Vatican donnait sans aucune contrepartie. On allait jusqu’à
proposer au cardinal Mindszenty une belle place au Vatican, pour enlever cette
pierre d’achoppement de Budapest. Voilà des concessions, n’est-ce pas ? Le
cardinal Casaroli commençait à mener des tractations secrètes avec le « Bureau
de l’Église » gouvernementale. Mindszenty fustigea ces accords en déclarant : «
Ils n’amènent aucun avantage pour l’Église, mais beaucoup d’avantages pour les
communistes. » Ce à quoi Casaroli répliqua : « Mindszenty est du granit, et
peut être aussi dur que le granit. » Pour les communistes, Mindszenty était
l’obstacle à la détente. Celui-ci restait intraitable : d’abord il faut libérer Mindszenty et ses prêtres, ensuite on
pourra négocier d’égal à égal de son éventuel départ.
En
octobre 1970, le Vatican se laissait convaincre par les USA, le nouveau
gouvernement Nixon, de rappeler Mindszenty. Il fut déclaré désormais « l’hôte
indésiré » de l’ambassade américaine à Budapest. Le 28 septembre 1971, suite à
toutes les ruses des services du Vatican, le cardinal quitta enfin son pays. En
fait, le Vatican avait promis en secret que le cardinal ne dirait jamais rien
contre le gouvernement communiste hongrois dans le monde libre. Réponse de
Mindszenty quand il sut cela plusieurs mois plus tard : « Sachant cela, jamais
je ne serais parti. » Et il ne respecta pas cette promesse. Plusieurs voyages
dans le monde entier lui procurèrent
des foules, des dizaines et dizaines de milliers de chrétiens auxquels il
parlait, sans aucune retenue, du communisme. Paul VI avait beau lui interdire
ces discours, Mindszenty continuait, sans jamais parler de sa propre
personne. Enfin, le pape lui retira sa double mitre en dépit de promesses
personnelles solennelles : celle du prince primat de la Hongrie, et celle de
l’archevêché d’Esztergom. Il devait présenter chaque sermon et chaque
discours par avance au Vatican pour accord, ce qu’il refusa. Le monde
reconnaissait en lui celui qu’il était. Ainsi le ministre des Affaires
extérieures du Canada, Mitchell Sharp, saluait en lui, lors de sa venue au Canada,
« le héros et le martyr de la vérité, le plus grand homme de notre temps… ».
Otto von Habsburg déclara : « Nous ne sommes pas dignes de Mindszenty. Il faut
que nous le devenions. » Mindszenty continuait à prêcher : « Beaucoup pensent
que les hommes peuvent invalider les lois divines : c’est un défi absolu pour
chaque chrétien. Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes. » Il dénonçait les
démocraties quand elles «échangent l’oppression égoïste et illimitée d’un
groupe d’hommes avec la violence totalitaire d’un autre groupe d’hommes». Il
prêchait l’indissolubilité du mariage contre le monde entier. « Il ne faut pas
craindre les menaces ; la violence et l’arbitraire, disait-il, ne croîtront que
dans la mesure où elles ne trouvent pas de résistance.
» Il disait aux Hongrois, faisant allusion à la basilique du Sacré- Coeur de
Paris érigée en expiation des péchés : « Chaque coeur chrétien doit devenir une
église d’expiation pour prolonger le sacrifice expiatoire de
Notre-Seigneur. » « Plus fort est le marteau, plus solide doit être l’enclume !
» Pour lui, il ne faut jamais être opportuniste, il faut toujours annoncer la vérité, comme c’est notamment le
devoir de chaque évêque. Selon lui, quand on relègue la religion au secteur
privé, à « la conviction de chacun », cela finit par Dachau et Auschwitz,
c’est-à-dire qu’elle disparaît. Au contraire, il faut annoncer le règne social
de Notre-Seigneur Jésus-Christ, Roi. Cela seul amènera l’homme à sa véritable
dignité d’enfant de Dieu. Pour faire cela, l’Église a 2 000 ans d’expérience,
et la Hongrie 1 000 ans. Que sont, au regard de cela, ces petites pensées
passagères terrestres que le Christ balayera chaque fois, dit-il avec force. Il
prit position par rapport à une de ces « pensées terrestres », la contraception,
et même au comportement du « faire attention », comme il disait : Faire attention, c’est déjà le
péché. Le péché d’éviter que les droits ne deviennent des obligations, où il y
a un droit, il y a aussi une obligation. Ceux qui « font attention », maculent
le sanctuaire de la famille et en font un caveau de vices. Les partenaires
honorables du mariage chrétien deviennent les complices du péché : Dieu ne
bénira pas une telle famille, catholique ou non. Le catéchisme obligatoire à l’école était pour lui une
nécessité comme le vaccin obligatoire contre la variole. Pas de discussion !
Pour lui, la plus grande victoire de l’ennemi était l’étatisation de l’école,
l’insémination du mal et de l’athéisme dans les tendres coeurs des petits.
Quand,
en 1947, il consacra devant 200 000 fidèles la nation à la Vierge Marie, il
annonça : « Là où la justice et l’amour seront mis en cause, nous nous défendrons. » En fait, il est
resté le défenseur inébranlable, le martyr fidèle jusqu’à sa mort. Voici ses
dernières paroles, à la fin de ses mémoires, au sujet de son abdication forcée
: « A ces conditions graves, je ne pouvais abdiquer. Ainsi, je prenais le
chemin de l’isolement, de l’exil total ». Il parlait de ses dernières années de
« liberté » à l’Ouest, dans l’Église devenue conciliaire, moderniste. » - O.A.M.D.G. -
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